Les difficultés d'approvisionnement
"Pays
sans littoral, le Burkina Faso a une économie qui repose sur le trafic
routier. Du fait de la crise ivoirienne, le port autonome de Lomé a
ravi la vedette à celui d’Abidjan, et l’essentiel de nos importations
et de nos exportations se fait via le pays de Faure Eyadéma. Dame
Nature vient de mettre un frein à cet état de fait avec la rupture du
pont d’Amakpapé, situé à 75 km de Lomé sur la route nationale n°1 par
suite d’une pluie diluvienne dans la nuit du 26 au 27 juillet 2008. Il pleut des hallebardes dans la
sous-région ouest-africaine, comme l’a, du reste, prévenu les
spécialistes en prévision climatique à Niamey en mai dernier.
Malheureusement, certaines pluies laissent derrière elles d’importants
dégâts matériels et, hélas, des pertes en vie humaine. Sont de
celles-là le déluge qui s’est abattu sur Lomé dans la nuit du 26 au 27
juillet 2008. En termes de dégâts matériels, on note la rupture de 7
ponts, dont celui d’Amakpapé, sur la nationale n°1 reliant nos deux
pays par le nord. Pour avoir une idée de l’importance de ce corridor,
600 camions en majorité burkinabè y étaient floqués le 12 août dernier. En attendant la construction d’un pont-rail, promise
par les autorités togolaises, des centaines de camions de marchandises
sont en souffrance, et l’inquiétude monte à Ouagadougou parmi les
opérateurs économiques. En effet, depuis le déclenchement de la crise
ivoirienne, le port autonome de Lomé a conquis le cœur des opérateurs
économiques burkinabè. Pour faire face à la situation, les autorités
togolaises ont envisagé deux déviations : l’une sur 181 km et l’autre
sur 51. Des mesures qui ne semblent pas avoir résolu le problème. « La déviation est très mauvaise sur 51 km, les camions
qui réussissent à s’en sortir mettent au minimum 7 jours pour les
parcourir ; il n’est pas possible de faire un dépassement, ce qui
contraint la multitude de véhicules à s’aligner et si un se bloque,
tous les poursuivants doivent attendre jusqu’au solutionnement de son
problème. Ce qui est malheureux, c’est que beaucoup s’embourbent et
certains se renversent, c’est un spectacle qui vous coupe le goût du
métier », nous confie, entre deux soupirs, un transporteur qui est
rentré de Lomé le vendredi 22 août. Le chauffeur Karim Kaboré, qui est arrivé le lundi
dernier, partage le même sentiment : « La déviation, souligne-t-il,
n’est pas en bon état. J’ai vu au moins une dizaine de camions, les
quatre fers en l’air, tous ceux qui ont voyagé dans ces conditions
n’ont plus le courage d’emprunter ce tronçon ; avant l’endommagement du
pont, deux jours nous suffisaient pour regagner le pays, mais
maintenant nul ne peut définir le temps qu’il mettra dans la
traversée ». Il va sans dire que, dans ces conditions, les opérateurs
économiques et les commerçants ont du souci à se faire. C’est le cas du directeur général de la société
Pro-Agro, Bonaventure Ouédraogo, qui a deux containers à Lomé, l’un de
pomme de terre et l’autre de matériel agricole, bloqués depuis trois
semaines. Ces intrants agricoles sont prévus pour la campagne sèche,
qui doit en principe commencer dès mi-septembre. « En temps normal, le transit Port de Lomé-Ouaga dure
au maximum 10 jours, mais avec cette situation, nous sommes impuissants
et nous ne saurions vous dire quand est-ce que les containers vont
rentrer », regrette-t-il. Pour le directeur général d’Impricolore, qui préfère
mettre en avant le nom de sa société, il a un container de papier qui
lui a été livré le 25 août après un mois d’attente. Face à la lenteur
des camions, il n’a pas manqué d’ironiser : « Même à pied, pour
parcourir 1000 km, ça va plus vite ». Alors qu’il attend sa marchandise
depuis longtemps en provenance de Lomé, il a détourné certaines
commandes sur Abidjan. « Pour le Togo, nous explique-t-il, c’est une perte
importante d’argent, parce que bon nombre d’entrepreneurs, comme moi,
détournent leurs marchandises sur Accra et Abidjan ». S’il est plus
facile de détourner les chargements encore en pleine mer, tel n’est pas
le cas pour ce qui est déjà sorti des eaux. A en croire Drissa Nikièma,
un aide-commerçant, son frère a 150 camions de ciment en souffrance sur
la voie de Lomé, ce qui leur donne des migraines parce que les stocks
sont en train de s’épuiser : « Mon frère est allé voir à Cotonou pour que les
camions y passent, mais il a fallu payer une importante somme
d’argent ; les marchandises sont en route depuis lundi ; nous n’avons
pas le choix, il faut payer le prix pour satisfaire la clientèle »,
a-t-il relevé. A l’instar de la Société nationale des hydrocarbures,
bien de sociétés ont fait l’option du détour, en passant par Cotonou. Le pont-rail, où es-tu ? Pour certains, la rupture des ponts n’est pas le seul
fait de la pluie diluvienne de juillet dernier, ils mettent aussi à
l’index les surcharges. « Il faut que les surcharges des camions
ghanéens soient réprimées ; ils prennent jusqu’à 150 tonnes de
marchandises ; même si on construit le pont, il ne durera pas avec de
telles pratiques », prévient un transporteur. En attendant, bien de transitaires broyent du noir :
« On se plaignait de nos affaires qui ne marchent pas du fait de
l’arrivée en nombre restreint des camions, mais maintenant, la
situation s’est aggravée. Ceux qui arrivent à contourner le blocus pour
rentrer sont sous le poids des taxes, et les quelques rares camions qui
sont ici viennent de Dakola et d’Abidjan. Si ça continue, nos familles
souffriront autant que les camions », relate, mélancolique, le
transitaire Marcel Bouda. Et Ali Balboné de renchérir sur le poids des taxes :
« Ils ont essayé de négocier avec le Bénin, mais les taxes y restent
élevées alors que du côté togolais une somme de 20 000 FCFA par camion
est perçue au péage ; cela devait suffire pour réparer le pont, partout
c’est dur ». Sachant que cette situation peut porter un coup dur à
leur économie, les autorités togolaises s’affairent à construire un
pont-rail. Selon un transporteur joint au téléphone hier, les autorités
ont annoncé que ce joyau sera prêt ce mercredi. Ce qui ne semble pas convaincre son camarade déjà
rentré : « Lorsque nous y étions, nous avons mené un mouvement de grève
de concert avec des structures syndicales et les autorités togolaises
ont annoncé l’imminence de la construction du pont-rail, elles ont
plusieurs fois fixé des dates, mais nous attendons toujours ; cette
fois-ci, encore qui sait si ce n’est pas l’effet d’annonce qui est
recherché ? » marmone-t-il, sceptique. Mais que font les institutions et structures burkinabè
pour faire face à la situation ? On aurait voulu savoir les mesures
prises par la Chambre de commerce, elle qui est pour le moins concernée
par le problème. Nous n’avons pas pu rencontrer le directeur chargé de
mission, que nous avons absenté à son bureau. Nous avons attendu en vain l’appel de sa secrétaire,
qui a promis de nous donner la réponse de son patron. Notre étonnement
a été plus grande à la Société nationale de transit du Burkina (SNTB),
où nous avons été accueilli par « un silence radio ». Après nous avoir fait balader de bureau en bureau, on
n’a finalement pas eu une seule information sur ce sujet préoccupant de
l’heure. Qu’à cela ne tienne, le directeur général du Conseil burkinabè
des chargeurs (CBC), Ali Traoré, nous a ouvert ses portes. D’ailleurs, il ne pouvait pas en être autrement, lui
dont l’institution a pour mission de faire en sorte que
« l’approvisionnement du Burkina se fasse dans les meilleures
conditions de coût, de célérité et de sécurité ». A l’en croire, le ministère des Transports et la
direction générale du CBC se sont mobilisés pour guider les opérateurs
économiques dans la recherche de solutions. En effet, le ministère a
demandé aux autorités béninoises d’accorder des facilités en revoyant à
la baisse les différentes taxes et éviter qu’il y ait une double
imposition. A l’en croire, les autorités béninoises sont favorables
à ces mesures. Quant aux autorités portuaires du Togo, dans une note
circulaire aux manutentionnaires datée du 20 août, elles ont souligné :
« En vue de soulager les transporteurs fortement éprouvés, la direction
générale du port autonome de Lomé demande aux manutentionnaires
d’accorder des réductions tarifaires substantielles tant sur le
stationnement que sur le relevage pour les containers à destination des
pays du Sahel. Ces efforts permettront de maintenir un tant soit peu
le trafic à destination ou en provenance de ces pays et constituent un
acte concret de solidarité des manutentionnaires à l’endroit des
opérateurs économiques de ces pays qui utilisent la place portuaire de
Lomé ». Le DG du CBC a assuré que, selon des informations
récentes, les travaux du pont-rail ont commencé. Seulement, comme l’a
fait remarquer un transporteur, l’accès à ce pont sera limité aux
camions dont la hauteur ne dépasse pas 3,80 m alors que les containers
et les carrosseries ont une hauteur qui excèdent parfois 4 m. C’est
dire que cette infrastructure en construction ne résout qu’une partie
du problème. Au dire d’Ali Traoré, des équipes du CBC sont sur le
terrain et font de leur possible pour aider les transporteurs. A son
avis, Lomé est de loin le premier port de transit de nos opérateurs
économiques, mais Abidjan retrouvant sa paix d’antan, elle a doublé, de
mars 2007 à mars 2008, le nombre des clients burkinabè. Du fait de la crise ivoirienne, notre pays a diversifié
ses sources d’approvisionnement, qui sont désormais Lomé, Abidjan,
Cotonou, Accra et Takoradi. Il va sans dire que la concurrence est
rude, et c’est le port qui offrira les meilleures conditions de trafic
qui aura le plus de clients. L’intégration sous-régionale voulue par
l’UEMOA passe par le développement des routes et une solidarité
africaine agissante."