Rencontre avec les mangeuses d’âmes
Les mangeuses d’âmes, ces femmes accusées de sorcellerie, marginalisées, chassées et abandonnées par leurs familles, je les ai rencontrées dans un centre où elles échouent à Ouagadougou – 400 dans le centre de Delwendé et 108 dans celui de Paspanga, femmes pour la plupart âgées et veuves, vivant dans une cour commune, recevant l’aide sociale et tirant quelques revenus de leurs menues activités (production de soumbala*, filage de coton).
Tout commence souvent au village (surtout la région du plateau du centre du Burkina) pour ces femmes, frappé de malheurs : des morts inexpliquées la plupart du temps. Les anciens évoquent alors une malédiction et décident de porter le Siongho*. Reniées, accusées des pires malheurs, elles errent bien souvent des jours et des jours, chassées de villages en villages.
Le film Delwendé
(Lève-toi et marche) de S.Pierre Yameogo (2005) retrace l’histoire d’un
village confronté à une épidémie de méningite. La radio met les contrées reculées en garde
mais seul le fou le comprend et personne ne l'écoute.
Des enfants meurent chaque jour : un mal est à l'œuvre. La "projection maraboutique" est basée sur le fait qu'un mal impalpable doit être nommé, identifié et replacé dans le registre symbolique de la communauté. Tout mal a une cause extérieure, en général un sort jeté par une personne précise aux pouvoirs occultes : il suffit d'identifier qui l'incarne pour le contrer.
Qui sont ceux qui accusent ? des hommes eux aussi aux pouvoirs occultes, mais eux sont les féticheurs alors que les femmes en sont leurs victimes.
La plupart d’entre elles ne reverront jamais leur village et leurs familles : dans le centre de Paspanga, sur 108 femmes, seulement une ou deux par an retrouvent leur famille – mais pas leur village d’origine, grâce à une fille ou un fils qui ont quitté le village natal. Quelques enfants viennent rendre visite à leurs mères, mais en cachette car eux-mêmes risqueraient d’être accusés de sorcellerie. Une des femmes du centre a déclaré lors de notre visite : « pour nous, tout est gâté, il faut se battre pour nos filles ».
· Soumbala :
condiment alimentaire produit à partir de la fermentation des graines de
caroubier africain ou néré.
· Siongho :
un cadavre porté par deux jeunes hommes encore vierges
désignera de lui-même au marabout la personne responsable de sa mort. Celle-ci sera
soumise à la potion de vérité, sorte de détecteur de mensonge traditionnel.